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  1. Au pays du sang et du miel

    15 mars 2012 par Jacques

    Un film d’Angelina Jolie avec Zana Marjanovic, Rade Serbedzija

     

    1992: Danijel et Ajla dansent amoureusement dans une discothèque cible d’un attentat: l’explosion provoque un carnage. Leur visage couleur de sang forme l’affiche du film qui suggère aussi la profession de l’héroïne, artiste-peintre. 5 mois plus tard, Ajla est raflée parmi les femmes bosniaques de la cité, à destination d’un camp militaire serbe dirigé par le capitaine Danijel. A l’arrivée, l’otage qui se signale comme médecin est violée devant ses camarades. Un exemple du traitement inhumain qui les attend. De cet enfer, Danijel soustrait son amie en la transférant dans ses quartiers comme sa favorite, pour sauver une relation digne dans un milieu totalement déshumanisé et pour se préserver de la barbarie qui se répand. Il favorisera l’évasion d’Ajla avant d’être muté à Sarajevo et épargnera la vie d’un civil bosniaque, dans la ligne de mire de son fusil, au nom d’un même sentiment d’humanité. Triomphe de courte durée, sous l’influence révérencielle d’un père général, il va devoir se conformer aux siens et abandonner ses états d’âme sur l’autel de l’idéal combattant: tuer ses ennemis pour un gain politique.

     

    Au pays du sang et du miel (la traduction étymologique inversée du mot turc «Balkans») égraine le chapelet douloureux et sanglant des exactions, sévices et violences subies par les populations civiles et les femmes pendant les quatre années de guerre en Bosnie. Viols et humiliations sexuelles, utilisation des civils comme boucliers humains lors des opérations de ratissage, déplacements forcés et massifs des populations, massacre de civils désarmés et meurtres d’enfants. Dans ce maelström politico-militaire d’une Bosnie-Herzégovine livrée au crime raciste, les acteurs agissent mécaniquement, leur identité perd toute densité et se dilue dans la peur et le sang.  Angelina Jolie dénonce, sans faux fuyants ni voyeurisme déplacé, les actes de barbarie qui ont ensanglanté l’ex Yougoslavie sous le regard impuissant des soldats des nations unies et elle s’insurge des atermoiements occidentaux préoccupés de la protection des populations civiles mais incapables de trouver la solution politique qui en était la condition. Seuls les bombardements de l’Otan prenant position dans le conflit contraignirent les milices serbes à un cessez le feux puis aux accords de paix de décembre 1995. C’était à nos portes, à 40 minutes de la Riviera…

     


  2. Sport de filles

    10 mars 2012 par Jacques

     

    Un film de Patricia Mazuy avec Marina Hands, Josiane Balasko, Bruno Ganz

     

    Furieuse de la vente d’un cheval qu’elle se réservait, Gracieuse (Marina Hands) démissionne avec éclat du centre équestre qui l’employait, retourne chez son père, paysan à la retraite et se fait recruter comme palefrenière dans le haras proche, tenu avec autorité par Joséphine de Silène (Josiane Balasko) qui veut conclure par son intermédiaire une transaction sur les prairies voisines, convoitées pour l’agrandissement du domaine.

     

    Farouche, indomptable, solitaire, Gracieuse n’a d’empathie que pour les chevaux qu’elle monte et d’ ambition que pour la compétition. Elle ne se domine pleinement qu’en domptant sa monture qu’elle entraîne au dressage, travaille les postures, en l’absence des propriétaires, trop moyen, galop à gauche, appuyer à gauche, changement de pied, appuyer à droite, diagonale, piste à droite, pirouette…, répétant mentalement les reprises jusqu’à l’obsession. Contractée en éconduisant un soupirant, une profonde blessure au front et à la pommette ne la dissuade pas de poursuivre son rêve, un bandeau protègera la plaie dans la tradition du pirate, fière et rebelle.

     

    Elle a trouvé son mentor, Franz Mann (Bruno Ganz) ancien champion olympique de dressage, entraineur de prestige au haras et concubin de Joséphine. Mais à l’instar de Frankie Dunn, le coach blasé de Million Dollar Baby, l’art équestre a t-il encore un sens pour ce champion usé, voué aux cavalières fortunées, ses élèves, dont il paraît palper le galbe du rein ou de la cuisse plus en satyre qu’en esthète du mouvement? Au tournant de sa vie, le maître parviendra t-il à se cabrer pour échapper à son destin d’assujetti et se réhabiliter à ses propres yeux?

     

    Patricia Mazuy dresse avec énergie le portrait croisé de deux cavaliers l’une égarée, l’autre  enlisé dans un milieu trop mercantile destinés à se rejoindre sur l’aptitude à transmettre et à recevoir, condition de l’excellence. A la naissance de tout champion, il faut  cet attelage particulier, cette alchimie  du maître et de l’élève.

     


  3. Le territoire des loups

    2 mars 2012 par Jacques

    Réalisé par :
    Joe CarnahanAvec :
    Liam Neeson,
    James Badge Dale,
    Dallas Roberts

     

     

    Les contes de notre enfance ont banalisé des mythes ancestraux. «Le petit chaperon rouge» réactive notre peur viscérale des forêts profondes et des espaces naturels qui furent des lieux de prédation. La crainte ontologique du serpent, de l’ours ou du loup n’a pas d’autres racines. Crainte usurpée tant il est vrai que la victime potentielle, l’homme est en vérité, le véritable prédateur de notre planète mais crainte fondatrice de notre instinct de conservation, condition de la suprématie.

     

    En Alaska, John Ottway protège l’enceinte d’une compagnie pétrolière des attaques de loups à la frontière du monde sauvage et civilisé. A la suite du crashe d’un avion de transport, il tente d’unir les efforts des 6 rescapés devenus la proie des hordes de loups, afin de survivre dans un environnement mortel.

     

    «Le territoire des loups» qui possède les ingrédients d’un film d’action est le récit d’une expérience limite d’un groupe d’individus confronté à sa propre extinction. «La mort ne me concerne pas puisque je ne peux en faire l’expérience individuelle» a dit un philosophe, sinon que la mort d’un proche imprime le continuum des vivants et favorise l’empathie. Ainsi de cette séquence forte d’ Ottway (Liam Neeson), trouvant d’expérience, les mots qui apaisent un compagnon dans l’ agonie. Ottway incarne la volonté de survie face à ceux qui se résignent, parmi les plus combatifs dans l’ordre humain mais réduits à néant dans un environnement inhumain. Toutefois, le désir de lutte est ici perverti par l’imagerie familiale et le souvenir bâtard d’un père alcoolique et poète, torturé par les extrêmes. On ne se défait pas aisément de son enfance: notre héros doit se défier d’une pulsion de vie qui ne serait que pulsion mortifère et désir d’exaltation sacrificielle, de nature à le   propulser corps et âme, dans la gueule même du loup.

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  4. La desintégration

    20 février 2012 par Jacques

    De Philippe Faucon
    Avec
    Rashid Debbouze, Yassine Azzouz, Ymanol Perset

     

    Dans l’enceinte d’une cité Lilloise d’HLM, une centaine de musulmans se rassemble pour la prière et le sermon de l’Aïd al kabïr, la fête du sacrifice qui marque la soumission du prophète à Dieu et un progrès dans l’histoire de la civilisation musulmane, l’archange substituant un mouton au fils d’Ibrahim. L’idée du sacrifice humain recule jusqu’au retour périodique du refoulé et l’ avènement du Jihad contre l’Occident. Philippe Faucon aborde de front la question du recrutement dans les banlieues de volontaires pour le terrorisme, sur le terreau des frustrations nées de l’échec radical des processus d’intégration. La des/intégration exprime à la fois cet échec qui fait le lit des fondamentalistes armés et la perpétration de l’attentat lui-même.

     

    Ali échoue à trouver un stage en entreprise qui clôturerait la préparation de son bac pro en gestion des automatismes programmés et après 108 demandes toutes aussi vaines, abandonne l’école, dégoûté, refusant de surmonter sa frustration grandissante et de se battre encore selon la recommandation du frère aîné. Une frustration avivée par l’hospitalisation du père, au terme d’une vie de labeur. Que Djamel excellent dialecticien saura exploiter et canaliser. Son rôle: repérer les jeunes exclus, mûrs pour la rébellion face à l’ordre injuste, réveiller leur sentiment d’appartenance (reste avec les tiens pour lutter contre ceux qui représentent un danger), tuer toute idée d’une intégration possible dans la société française (dès que vous voulez faire autre chose que tenir un marteau piqueur, ils veulent plus de vous), identifier l’ennemi (tu n’as pas fini de sentir le racisme dans ton dos), échafauder un idéal de combattant (vos frères sont les moudjahidines qui se battent à Gaza, ne gaspillez pas votre énergie à brûler des voitures), rompre avec sa famille devenue trop française et s’entraîner au Jihad, en forêt, l’arme au poing. Et au terme du processus, exalter le courage individuel ( la mort est redoutée des impies, pas des moudjahidines, c’est pourquoi elle est une arme de destruction massive).

     

    Avec nuance et probité, la des/intégration dresse le constat d’un échec du modèle républicain d’intégration pour la nouvelle génération issue de l’immigration des pays du Maghreb. Comme l’Imam, la mère d’Ali prêche une religion de la tolérance, mais la résignation des aînés n’a plus cours dans la société actuelle. La discrimination fait place à haine, à la mesure des frustrations engendrées. Canalisée, exploitée par des idéologues, elle produit des bombes humaines. La des/intégration invite d’urgence à reconstruire un modèle social qui dévalorise au lieu de promouvoir. L’actualité politique nous y convie.

     

     


  5. Louise Wimmer

    17 février 2012 par Jacques

    film français de Cyril Mennegun, avec Corinne Masiero, Jérôme Kircher, Anne Benoît

    Le cinéma s’est souvent emparé du thème de la déchéance sociale sous l’angle de la sanction de comportements individuels, le désordre amoureux, -l’ange bleue-, la faiblesse de caractère, -Barry Lindon- ou l’accident et l’alcool, -l’assommoir-. Ken Loach, Robert Guediguian ou les frères Dardenne l’ont relié au cadre économique et politique en offrant aux victimes une planche de salut par la lutte, comme un artifice capable de réconcilier la classe ouvrière avec elle-même, -les neiges du Kilimandjaro-. Louise Wimmer de Cyril Mennegun porte un regard d’une autre nature sur le déclassement, froidement clinique, sans rechercher ni la culpabilité du sujet ni sa rédemption. La déchéance sociale n’est plus l’engrenage monstrueux d’une descente aux enfers, -sans toit ni loi-, elle peut banalement s’insérer dans le quotidien de tout un chacun comme l’a rappelé avec force Malaurie Nataf et ce constat de la quasi normalisation de la précarité dans une société donnée n’en est pas moins effrayant.

     

    A presque cinquante ans, divorcée, Louise dort dans le coffre de sa voiture familiale, frêle armure dans le tissu urbain d’une grande ville. Elle se réveille, enfile ses tennis, va au bistrot qui reçoit son courrier, boit un café  réglant une partie de son ardoise, se lave dans les toilettes et rejoint son emploi de femme de chambre d’hôtel avec dix minutes de retard. Séduire le gérant comme la nouvelle recrue pour obtenir un travail à temps plein? Elle n’y croit plus Louise, elle est à peine aimable avec les autres, fermée toujours, même avec ses potes de tiercé ou son épisodique amant qui ne tire rien d’elle, hors de la galipette. Du box d’un parking contenant ses derniers meubles, elle prélève les biens monnayables au crédit municipal, pour jongler avec les créanciers. Louise croise son ex mari et sa fille en étrangère, sans s’appesantir sur son infortune. Sa voiture est le support vital et seule une panne pourrait l’atteindre. Elle attend un logement locatif depuis 7 mois, un logement, pas un entretien avec une assistance sociale! Elle fait tout ce qu’il faut pour se maintenir au quotidien, remplit son réservoir en siphonnant du carburant, se nourrit en pique assiette dans les snacks, panse le spleen d’un soir en se saoulant de bière, ou s’éclate au son de la musique de Nina Simone.

     

    La précarité pour Louise Wimmer n’est pas une déchéance, une prison, une voie sans issue. C’est un combat quotidien, identique à celui du malade dans sa maladie, forcément solitaire car on n’a pas d’énergie à distribuer, pas plus qu’on en reçoit de ceux qui ne possèdent que les repères sociaux traditionnels. L’itinéraire de Louise bat en brèche le concept de solidarité suggérant que certains mots clés ne sont là que pour habiller d’un voile rassurant, l’inacceptable.

     


  6. Une nuit

    25 janvier 2012 par Jacques

    Réalisé par Philippe Lefebvre
    Avec Roschdy Zem, Sara Forestier, Samuel Le Bihan
    Simon Weiss, commandant de police à la brigade mondaine entame sa tournée de nuit dans les quartiers chauds de Paris. Il est l’essence même du flic de terrain branché, parfait connaisseur de la toile d’araignée des boites de nuit, cabarets de travestis, bars à filles, clubs échangistes de la capitale, où il a ses entrées, ses indicateurs protégés et même le respect de la plupart des patrons pour sa capacité à négocier entre 2 scotchs, les règles du jeu, la paix des armes, en usant aussi de la menace de la fermeture administrative de la boite. L’un des rois de ce monde interlope, à l’écart du trafic de drogue et de la prostitution, Tony Garcia est même, de longue date, son ami. Or, ce soir là Simon se sachant surveillé par la police des polices doit découvrir celui qui l’a balancé à sa hiérarchie pour déjouer le scénario de sa destitution.

    On songe au récent fait divers Lyonnais qui a révélé la difficulté à établir la frontière entre la fréquentation du milieu nécessaire à l’élucidation des affaires de grand banditisme, la protection des témoins parfois couverts dans leur trafic et l’association de malfaiteurs à l’origine de la chute d’un policier reconnu, patron de la PJ, Michel Neyré.

    Roschdy Zem a la charisme du policier au sommet de son art, incisif et matois, dans un milieu dont il maîtrise parfaitement la langue et les codes. Un milieu complexe et dangereux, peuplé de vrais truands et au sein duquel la foi en son métier ne suffit pas pour obtenir des résultats spectaculaires, sans le recours aux méthodes qui souvent piétinent le code pénal. Car Simon Weiss est sans peur mais pas sans reproche. C’est pour lui, une nuit à enjeu où le cœur bat à rompre au rythme de la capitale de tous les plaisirs nocturnes, une nuit de sourde et lancinante mélopée comme les stigmates d’une gueule de bois.


  7. Le Havre

    3 janvier 2012 par Jacques

    Réalisé par

    Aki Kaurismäki
    Avec
    André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin

    Pour rester proche du peuple et fidèle aux préceptes du sermon sur le montagne, Marcel Marx, qui sait enjoliver le réel à l’aide de doctes sentences gagne encore son pain, la soixantaine passée en cirant chaque jour les chaussures des passants dans les rues du Havre, arborant le flegme de ceux qui eurent leur content de gloire ou de reconnaissance dans un lointain passé d’écrivain saltimbanque. Ce vécu a façonné un personnage jamais atteint par les avanies du temps présent, comme la mesquinerie du gérant d’un grand magasin qui le chasse de sa devanture, mais cet interdit est inopérant et il sera bravé plus tard, avec cette obstination propre aux petits métiers qui, depuis Charlot, ont appris à s’adapter aux contraintes de la rue. Marcel a rencontré et épousé sa muse, Arletty, destinatrice le soir, des euros gagnés, gardienne attentive des économies destinées au portefeuille des honnêtes gens, la boite en fer blanc du buffet, et il a trouvé dans le quartier des dockers, une petite maison comme point d’ancrage avec un bistrot proche pour s’offrir l’apéro du dîner et retrouver la fraternité de ses semblables.

    Tandis que sur les docks, un conteneur abritant des Maliens de tous âges est repéré par un vigile puis encerclé par un escadron de gendarmerie, un enfant parvient à s’échapper et à se cacher de la police dans les appontements du quai. Désormais, c’est un chien perdu sans collier que Marcel apprivoise alors, en lui apportant discrètement quelque nourriture et héberge, quand sa femme malade est hospitalisée. Dès lors, le cireur de chaussures va exercer son altruisme naturel , visites quotidiennes à l’épouse et bouquets de fleurs maladroitement justifiés: «je les ai eu à bas prix….euh, au contraire, elles ont coûté cher» et recherche active en parentalité pour l’enfant noir tombé du ciel. Avec son vieux costume pour tout viatique et la bonne foi du charbonnier, Marx écume les camps de migrants de Calais et Dunkerque et découvre que la mère est réfugiée à Londres. La ténacité récompense le miséricordieux. Suffira t-elle à faire passer clandestinement le gamin en Angleterre, au prix d’une somme astronomique, quand pressé par le Préfet de mettre la main sur le fugitif, l’inspecteur Monet à l’affût dans un quartier où il a ses aises, est renseigné par un voisin mal intentionné?

    Fable humaniste, le Havre raconte la mobilisation d’une poignée de voisins solidaires – nouveaux justes- pour cacher et conduire à bon port un enfant noir sans papiers échoué là, par hasard. Mais son réalisateur finlandais Aki Kaurismäki évite soigneusement d’appuyer sur le trait de l’engagement militant, préférant suggérer ici ou là, un déploiement démesuré des forces de l’ordre, la manipulation de l’opinion (« les clandestins: des liens avec Al Quaïda », titre Paris Normandie) et laisse au spectateur vigilant le soin de s’étonner de la mobilisation inverse de l’appareil de l’État, Préfet en tête, pour stopper la cavale d’un gamin. A la manière du Marseillais Robert Guediguian développant un scénario politique ou sentimental dans le creuset d’un microcosme, Kaurismäki construit une réalité mythique à l’ambiance délicieusement surannée plus proche de l’imagerie des romans de Simenon, du cinéma des années 50 auxquels s’apparentent les principaux lieux de vie imprégnés d’austérité, le foyer des Marx, le bistrot, la boutique ou la chambre d’hôpital. Les personnages forment une typologie sublime, Jean Pierre Léaud en mouchard aigri, Arletty tenant debout par miracle avec sa robe de lumière et son mari qui avance sans se poser de questions dans un jeu de chassé croisé avec un flic fouineur et ambiguë, partagé dans son identité professionnelle. Des tableaux ciné-géniques comme ce cerisier en fleurs aperçu dans « la colline aux adieux » ou les lumineuses retrouvailles des époux fâchés, Mimie et little Bob dont la résurrection sur scène est un des joyaux du film, rendent hommage à la tradition attachante du cinéma romantique. Le Havre, c’est la soupe populaire d’un réveillon fraternel dont les plus modestes sont les héros: http://www.youtube.com/watch?v=88-GIdGS2-I


  8. Les neiges du Kilimandjaro

    11 décembre 2011 par admin

    Réalisé par
    Robert Guédiguian
    Avec
    Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan
    A l’instar de Ken Loach ou des frères Dardenne, Robert Guediguian demeure fidèle à ses engagements en faveur du peuple ouvrier et à son quartier de naissance l’Estaque, filmé en sociologue, trouvant l’inspiration dans une puissante lignée qui relie sous un même idéal, une pareille humanité, Victor Hugo dont le poème les pauvres gens tiré de la légende des siècles inspire le motif de son dernier film, les neiges du Kilimandjaro, et Jean Jaurès figure mythique du syndicalisme ouvrier, exceptionnel de verbe courageux, première victime sacrifiée à la domination d’une idéologie guerrière en Europe, le 31 Juillet 1914.

    Délégué syndical CGT, Michel (Jean Pierre Daroussin) suivi par Raoul son beau-frère (Gérard Meylan) tire au sort par souci d’équité les 20 salariés -dont lui-même- licenciés par la direction des docks Marseillais. Une perte d’identité brutale compensée par des tâches culinaires et ménagères, le bricolage d’entraide familiale et la perspective d’un voyage au pied du Kilimandjaro offert par les copains du pré retraité forcé, pour l’anniversaire de son mariage avec Marie-Claire (Ariane Ascaride). Mais les membres des deux familles sont assaillis par deux malfaiteurs, attachés, molestés et dépouillés de leur carte bancaire, des billets d’avion et du pactole pour la Tanzanie. Or, quand Michel découvre l’identité d’un des agresseurs, c’est l’ univers entier de ses convictions qui s’écroule.

    La classe ouvrière n’est plus, son ciment s’est lézardé sous le poids de difficultés matérielles extrêmes. Un clivage de génération s’est installé entre les ouvriers en fin de carrière, propriétaires d’un petit pavillon et les jeunes en galère dans leur HLM, sans parenté responsable, insensibles à toute conscience de classe et préoccupés uniquement de satisfaire leur besoin. Le risque est grand alors que ce clivage désigne l’ennemi puis exacerbe à la faveur d’un fait divers, la haine de l’autre. Guediguian a l’intelligence de nous dévoiler les deux faces d’une même réalité sociale, les tourments de la victime désemparée, le cynisme de l’agresseur indifférent à tout ce qui n’est pas la protection immédiate de ses petits frères, empêchant toute identification simpliste aux idéologies de l’exclusion.

    Ariane Ascaride trouve le fil pour sortir du chaos des tensions provoquées par cette agression et ses suites judiciaires et sa démarche nous bouleverse, exprimant l’espoir d’une humanité qui se reforme. Chercher à comprendre  quand tout vous pousse à juger et à condamner c’est permettre à la conscience de dominer l’instinct, à l’humain en nous de triompher de son animalité. Sans rien retrancher des nécessités de sanctionner la responsabilité individuelle, les neiges du Kilimandjaro nous invitent à réfléchir aux mécanismes à l’origine des situations sociales qui dégénèrent!

    NB: «ouvrez une école, vous fermez une prison» Victor Hugo.

    «Et dans tous les pays européens, en Allemagne comme en France, en Autriche comme en Espagne, la politique intérieure est incertaine, confuse, flottante, entre une démocratie libérale ou radicale dont les forces d’élan s’épuisent et qui a peur des idées générales et une démocratie socialiste et ouvrière encore inorganique, trop faible encore et trop divisée pour imprimer aux événements sa marche vigoureuse et définie. Ce n’est que par la force d’idées claires et vastes que les nations échapperont à ces incertitudes épuisantes et à ces crises.» Jean Jaurès- 6 Novembre 1911.


  9. Les adoptés

    7 décembre 2011 par admin

    Réalisé par Mélanie Laurent
    Avec Mélanie Laurent, Denis Ménochet, Marie Denarnaud
    Genre Comédie dramatique – 1h40
    Un clan féminin plutôt gigogne autour d’une mère fantasque, Millie (Clémentine Célarié) , ses filles pas encore trentenaires, Marine la rêveuse célibataire (Marie Denarnaud), inconditionnelle du romantisme de «Charade», rieuse comme au jeu, dans sa librairie et Lisa (Mélanie Laurent) plus fermée, tenant à distance les beaux ténébreux pour se consacrer à Léo, son fils de 5 ans et tenter plus ou moins sa chance dans la chanson en grattouillant un peu de guitare. Il flotte dans cette famille un parfum d’immaturité, une interdépendance qui se prolonge chaque jour au téléphone… Jusqu’au moment où un mâle discrètement barbu fait son entrée dans ce magasin de porcelaine.  Alex (Denis Ménochet) critique gastronomique, venu se sécher à la librairie de Marine entame avec elle une idylle empressée qui menace l’harmonie familiale. L’ours au grand cœur sera t-il adopté ou rejeté par le cercle des Sabines? Le petit bal des heurts sentimentaux apparaît soudain bien dérisoire aux protagonistes, quand survient le drame.

    Ce premier long métrage de Mélanie Laurent, comédienne prolixe, chanteuse débutante, miss Dior mais aussi ambassadrice de France Libertés, aborde dans l’esprit des petits mouchoirs, le flottement qui saisit les couples au moment de s’engager dans la durée et le renversement de perspective produit par l’accident d’un proche. Des plans séquences parfois drôles des premiers pas du fiston à la danse, au judo, à la gym, de l’amoureux trempé même par beau temps, proches d’un vidéo gag. Des dialogues construits, (c’est souvent ce que les gens ne se disent pas qui est important) et l’attente angoissée dans une chambre d’hôpital filmée sans pathos. Un essai prometteur démontrant une réelle aptitude à saisir à la caméra l’ellipse des souvenirs pour écrire avec légèreté ou gravité une page très actuelle des comportements affectifs.

     


  10. L’Apollonide : souvenirs de la maison close

    23 novembre 2011 par admin

    réalisé par Bertrand Bonello

    avec Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca plus

    Drame  –  Français  –  2h02

    Un hôtel particulier au décor voluptueux digne d’une toile de Toulouse Lautrec, peuplé de filles aux courbes délicieuses, celles immortalisées par le pinceau de Courbet ou Renoir, la délicate musique, ce chant des fées, émise par la caresse des doigts sur le verre de cristal, l’Apollonide est le paradis de la sensualité, monnayé à l’appétit des bourgeois. Mais une rose blanche perd discrètement ses pétales sur le guéridon, en signe d’extinction. Un monde va s’éteindre en effet, celui des divans profonds de Beaudelaire (l’apôtre précurseur des liens entre la beauté et le mal), du french cancan, des années folles, victime des vents sanguinaires de la première guerre mondiale, des vents où plutôt des appétits de domination territoriales.

    Couvent ou Bordel, c’est finalement la même solidarité qui règne ici, entre la nouvelle qui dévoile ses charmes à tous pour n’être prisonnière d’aucun, celle qui rêvant d’une émeraude offerte pour sa délivrance, rencontre un tortionnaire sadique, celle qui ne monte pas sans sa pipe d’opium et d’oubli, celle qui devient une merveille de poupée quand il faut, celle qui découvre les stigmates de la syphilis et sa propre fin. En apparence toujours gironde, la tenancière prend soin d’un établissement qui n’est pas conçu pour l’abattage. Les passes quotidiennes font l’objet d’un suivi médical, hygiène et soins corporels sont réglementés. Propreté et parfum sont des clés du métier. Et on ne sort qu’accompagné, ensemble pour un pique nique de bord de rivière,rare moment de pure joie de vivre.

    Car Bertrand Bonello ne s’y est pas trompé, c’est d’amère aliénation qu’il s’agit. Au rendez vous du sexe tarifé il n’y a pas d’avenir possible, tant le bourgeois, esclave de sa jouissance, finit par mépriser l’objet de sa jouissance (au lieu de se mépriser lui-même). La prostituée version 1900 est assimilée au criminel par la taille du cerveau selon la vulgate anthropomorphique de l’époque!

    Aujourd’hui, la condamnation bien pensante à simplement changé de forme. La France d’hier, a fermé ses maisons de tolérance gênantes dans le paysage urbain, comme celle d’aujourd’hui a chassé des boulevards cossus, la prostitution en réprimant le racolage. Mais le proxénétisme hôtelier est toujours vivace, les escorts girls accompagnent quand il faut le gratin financier, sportif ou politique et la criminalité organisée s’est emparée d’une armée d’esclaves du sexe à la périphérie des grandes Villes,.

    Toute société n’est jamais corrompue que par deux facteurs de domination masculine, l’argent et le  sexe.