Drame de Martin McDonagh
Avec Frances Mc Dormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell…
Tout crime atroce commis dans une bourgade, faute d’être résolu a vocation à s’effacer de la mémoire collective comme la tâche incongrue sur une robe de printemps. Or Mildred Hayes refuse ce retour à la quiétude du Comté de Ebbing dans le Missouri. Cinq mois plus tôt, au retour d’une soirée, sa fille Anita a été violée et assassinée aux abords d’une route de campagne mais l’enquête s’est enlisée faute de pistes. Comment réveiller alors l’activité policière sous l’éteignoir? Mildred repère trois panneaux géants d’affichage délabrés le long d’une voie désertée par la construction d’une autoroute, qu’elle s’empresse de louer chez le publicitaire implanté… en face du bureau du shérif. Imprimés sur fond rouge, les messages sanglants de la colère maternelle « violée pendant son agonie », « toujours pas d’arrestation », « pourquoi shérif Willoughby » visent à pousser les policiers dans leur dernier retranchement.
Cet affichage cru d’une douleur réclamant justice provoque l’hostilité générale, que revendiquent son coiffeur, aussitôt piqué au vif, le curé vertement éconduit par Mildred (vous êtes coupable même si vous lisez votre bible pendant qu’un autre se tape un enfant de cœur car vous n’êtes pas trop regardant sur le monsieur!) et même son propre fils indigné par la morbidité du message et lassé des brimades au collège. Avec pour unique soutien, un nain amoureux d’elle, l’héroïne s’obstine quand bien même le shérif, estimé de tous apparait en fin de vie (on va tous crever!). On l’aura compris, Mildred possède une panoplie de répliques au vitriol et la férocité de celles qui n’ont plus rien à perdre, mari compris, envolé avec une jeune « bimbo ». Elle répondra par la loi du talion à l’incendie de ses panneaux aussitôt remplacés.
Car la violence va s’introduire dans la confrontation, sous la férule de Dixon, un policier frustre, abruti et explosif, adepte d’une justice sauvage. L’homme qui vit chez une maman alcoolique et pousse au crime, prend pour cible les noirs (je tabasse les gens de couleurs pas les nègres) et les homosexuels. Sa dangerosité laisse pantois mais son crétinisme suscite l’hilarité (Mildred: c’est pas l’heure de rentrer chez maman chérie? Dixon: non j’lui ai dit que j’allais sortir jusqu’à minuit! Mildred: ptite merde; Dixon: on traite pas un flic sur son lieu de travail!). La noirceur des antagonismes apparentée au climat cinématographique des frères Coen (Fargo où brillait déjà l’étoile Mc Dormand) se métamorphose sous l’influence des lettres posthumes du shérif, touchantes, humanistes et ciblées pour peser sur la conscience des acteurs centraux du drame. Humilié puis gravement blessé, Dixon se convertit soudainement en flic décidé à confondre l’assassin. Un couple de justiciers se forme alors entre deux écorchés vifs, Mildred et Dixon, défiant toute logique, puissante invitation à la révision de nos jugements de spectateurs.
Le succès du film de Martin McDonagh Three Billboards s’appuie sur un triptyque remarquable, faux polar décrivant une humanité plus complexe qu’il n’y parait, puissance des dialogues toujours percutants et provocants, interprétation magnifique de Frances Mc Dormand (Mildred), expressive et hautaine jusqu’au mutisme et fragilisée par les seules palpitations de sa culpabilité, de Sam Rockwell (Dixon), être brutal et touchant dès qu’il s’affranchit de sa colère, de Woody Harrelson (Willoughby) flic intègre et perspicace jusque dans l’outre-tombe. A la manière d’un roman de Faulkner, le scénario fouille les tréfonds d’une Amérique rurale, rétrograde et raciste où l’état de droit est souvent bafoué tandis que l’opportuniste télévision provinciale offre sa caisse de résonance malsaine aux tensions locales. Mais la bienveillance fait aussi son apparition comme un pied de nez aux stéréotypes. Enrichi d’une bande musicale irréprochable, le film invite à croire à la possibilité d’une rédemption pour les rebelles que la vie a durement cabossé.