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  1. THREE BILLBOARDS: LES PANNEAUX DE LA VENGEANCE

    15 mai 2018 par Jacques

     

    Drame de Martin McDonagh

    Avec Frances Mc Dormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell…

     

    Tout crime atroce commis dans une bourgade, faute d’être résolu a vocation à s’effacer de la mémoire collective comme la tâche incongrue sur une robe de printemps. Or Mildred Hayes refuse ce retour à la quiétude du Comté de Ebbing dans le Missouri. Cinq mois plus tôt, au retour d’une soirée, sa fille Anita a été violée et assassinée aux abords d’une route de campagne mais l’enquête s’est enlisée faute de pistes. Comment réveiller alors l’activité policière sous l’éteignoir? Mildred repère trois panneaux géants d’affichage délabrés le long d’une voie désertée par la construction d’une autoroute, qu’elle s’empresse de louer chez le publicitaire implanté… en face du bureau du shérif. Imprimés sur fond rouge, les messages sanglants de la colère maternelle « violée pendant son agonie », « toujours pas d’arrestation », « pourquoi shérif Willoughby » visent à pousser les policiers dans leur dernier retranchement.

    Cet affichage cru d’une douleur réclamant justice provoque l’hostilité générale, que revendiquent son coiffeur, aussitôt piqué au vif, le curé vertement éconduit par Mildred (vous êtes coupable même si vous lisez votre bible pendant qu’un autre se tape un enfant de cœur car vous n’êtes pas trop regardant sur le monsieur!) et même son propre fils indigné par la morbidité du message et lassé des brimades au collège. Avec pour unique soutien, un nain amoureux d’elle, l’héroïne s’obstine quand bien même le shérif, estimé de tous apparait en fin de vie (on va tous crever!). On l’aura compris, Mildred possède une panoplie de répliques au vitriol et la férocité de celles qui n’ont plus rien à perdre, mari compris, envolé avec une jeune « bimbo ». Elle répondra par la loi du talion à l’incendie de ses panneaux aussitôt remplacés.

    Car la violence va s’introduire dans la confrontation, sous la férule de Dixon, un policier frustre, abruti et explosif, adepte d’une justice sauvage. L’homme qui vit chez une maman alcoolique et pousse au crime, prend pour cible les noirs (je tabasse les gens de couleurs pas les nègres) et les homosexuels. Sa dangerosité laisse pantois mais son crétinisme suscite l’hilarité  (Mildred: c’est pas l’heure de rentrer chez maman chérie? Dixon: non j’lui ai dit que j’allais sortir jusqu’à minuit! Mildred: ptite merde; Dixon: on traite pas un flic sur son lieu de travail!). La noirceur des antagonismes apparentée au climat cinématographique  des frères Coen (Fargo où brillait déjà l’étoile Mc Dormand) se métamorphose sous l’influence des lettres posthumes du shérif, touchantes, humanistes et ciblées pour peser sur la conscience des acteurs centraux du drame. Humilié puis gravement blessé, Dixon  se convertit  soudainement en  flic décidé à confondre l’assassin.  Un couple de justiciers se forme alors entre deux écorchés vifs, Mildred et Dixon, défiant toute logique, puissante invitation à la révision de nos jugements de spectateurs.

    Le succès du film de Martin McDonagh Three Billboards  s’appuie sur un triptyque remarquable, faux polar décrivant une humanité plus complexe qu’il n’y parait, puissance des dialogues toujours percutants et provocants, interprétation magnifique de Frances Mc Dormand (Mildred), expressive et hautaine jusqu’au mutisme et fragilisée par les seules palpitations de sa culpabilité, de Sam Rockwell (Dixon), être brutal et touchant dès qu’il s’affranchit de sa colère, de Woody Harrelson (Willoughby) flic intègre et perspicace jusque dans l’outre-tombe. A la manière d’un roman de Faulkner, le scénario fouille les tréfonds d’une Amérique rurale, rétrograde et raciste où l’état de droit est souvent bafoué tandis que l’opportuniste télévision provinciale offre sa caisse de résonance malsaine aux tensions locales. Mais la bienveillance fait aussi son apparition comme un pied de nez aux stéréotypes. Enrichi d’une bande musicale irréprochable, le film invite à croire à la possibilité d’une rédemption  pour les rebelles que la vie a durement cabossé.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


  2. The Walk, rêver plus haut

    30 décembre 2015 par Jacques

    Réalisé par Robert Zemeckis

     Avec Joseph Gordon-Levitt, Ben Kingsley, Charlotte le Bon…

    Animés de l’esprit novateur et conquérant d’Icare, d’authentiques héros ont cherché à vaincre les lois naturelles comme la pesanteur.  On ne confondra pas ces artistes célestes avec l’invétéré écervelé qui joue sa vie à la roulette russe un soir de défi entre copains en mal d’émotions fortes. Le sport à risques ne souffre d’aucune improvisation fantaisiste. Héritier des danseurs de corde du Moyen Age, le funambule a déserté aujourd’hui l’espace public entravé  par des normes de sécurité insurmontables et ne se produit plus que dans les cirques. L’exploit universel dés lors ne peut s’apparenter qu’à un sensationnel  détournement. A l’issu d’un parcours semé de chausses trappes,  un jeune funambule français  parvint à tendre clandestinement un câble à plus de 410 m du sol entre les deux tours jumelles du World Trade Center  le 7 Août 1974 et à arpenter le ciel New New-yorkais pendant près d’une heure.  Les étapes de cette splendide prouesse forment la matière du dernier film de Robert Zemeckis  The Walk, rêver plus haut.

    the walk ensemble

    Jongleur,  acrobate et funambule autodidacte,  Philippe Petit ( Robert Gordon Lewitt) veut conquérir le pavé parisien. En saltimbanque des rues tout de noir vêtu, en magicien coiffé d’un haut de forme, il trace à la craie un cercle parfait, l’espace sacré d’exercice de son art, inviolable par le spectateur profane mais il est chassé par la maréchaussée aussitôt qu’il s’engage sur une corde tendue entre deux platanes. Ailleurs, son spectacle est dénaturé, ridiculisé même par la concurrence sous ses pieds d’un saugrenu concours de pêche en étang! Cette première partie du film trouve le ton de l’espièglerie, dessinant en noir et blanc un Paris magique avec ses spectacles de rue, ses baladins, ses chanteurs. Pour s’imposer et marquer les esprits de son empreinte, notre artiste boudé par les autorités et le monde du spectacle doit donc prendre de la hauteur. C’est entre les deux tours de Notre Dame qu’il tendra sans autorisation son fil une nuit de Juin 1971 avec l’aide de son amie Annie Plix (Charlotte Le Bon), chanteuse de rue contestataire. Au matin, le public massé sur le parvis pourra alors saluer chapeau bas les exploits de cet étrange oiseau noir qui avance pas à pas, s’assied sur le fil, se redresse,  jongle avec des quilles puis s’allonge, se relève enfin pour saluer une foule compacte médusée quatre vingt mètres plus bas. A l’issu de ce spectacle hors norme mais peu salué par la France Pompidolienne, il est appréhendé par la Préfecture de Police.

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    Alors, toujours plus haut, toujours plus seul, toujours plus spectaculaire au yeux du monde qu’il faut frapper d’incrédulité, c’est désormais entre les tours les plus hautes de la planète fraîchement inaugurées que l’équilibriste hors norme veut poser son fil. La seconde partie du film s’apparente à la préparation enjouée d’un audacieux fric frac digne d’une excellente comédie policière. Papa Roudy ( Ben Kingsley) funambule expérimenté d’un grand cirque parisien à la fois roublard et perspicace a enseigné à son poulain l’art de la fixation des câbles haubanés par des « cavalettis » qui limitent l’effet de tangage. En repérage au pied des tours, notre voltigeur du ciel mesure l’étendue extraordinaire de son défi face à ces monstres d’acier de béton et de verre. Le suspense va grandissant à mesure du franchissement des étapes des préparatifs, le recrutement d’une équipe fiable,  les calculs géométriques, le transport du matériel à pied d’œuvre, au cent septième étage technique, à l’aide de déguisements d’ouvriers, de techniciens ou d’architecte. Au cœur de l’ultime nuit, la patrouille des vigiles peut encore faire capoter la manœuvre complexe et périlleuse d’amarrage des filins. Mais le jour se lève sans complications prêt à dévoiler le mythique ballet!

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    Le cinéma populaire à son meilleur parvient à recréer la féerie de l’enfance, celle des contes et légendes ou le frein suprême, la peur se dissous dans l’action chevaleresque. Tétanisé sur son siège, le spectateur, par la magie des ressources de la perfection numérique est, dans la troisième partie du film, plongé dans une aventure bien réelle, confronté au vertige démesuré! Respirer, maîtriser l’émotion avant de s’élancer dans une autre dimension quand les nuages se dissiperont, les pas du funambule vont vers l’inconnu, sont un hommage au ciel, au fil  qui le porte, aux tours magiquement reliées,  à la multitude immobile des terriens salués dignement avec l’élégance du matador. Huit traversées se succéderont dans un silence de tombe,  mais sans chute possible tant la gestuelle artistique accapare et force à la concentration absolue. C’est le miracle insolite  d’un homme si haut perché qu’une mouette vient le contempler, à la station couché sur le dos.  Prodige du cinéma capable de nous angoisser dans l’éclaircie matinale au départ de l’exploit, de reproduire le souffle du vent se levant ou le vertigineux trafic d’une cité abyssale! Robert Zemeckis rend hommage à un parcours d’extraterrestre  qui seul contre l’adversité qui atrophie  maintient allumé les lampions de la fête, ceux  de la vie rêvée des voyages extraordinaires.

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  3. Une belle fin

    31 octobre 2015 par Jacques

    Réalisé par Uberto Pasolini

    Avec Eddie Marsan, Joanne Frogatt, Karen Drury…

    Les rites funéraires éclairent l’évolution de nos pratiques sociales, la crémation gagnant peu à peu du terrain sur l’enterrement à mesure que le principe laïc dépossède le pouvoir religieux, mais l’hommage au défunt en cercueil ou en urne demeure un trait de notre humanité. En France pourtant, le trépassé désargenté  est enterré par les Mairies au carré des indigents à l’issue d’une brève enquête d’état civil des polices municipales et la recherche parentèle se limite à la consultation des fichiers. Chez les anglicans en revanche, le décès d’un anonyme fait l’objet  d’une prise en charge à la philanthropie surprenante. Les services municipaux anglo-saxons des pompes funèbres conduisent en  parfaits détectives,  la recherche de parents ou d’amis susceptibles d’accompagner le défunt dans sa dernière demeure ou avant toute dispersion des cendres.

    Une belle fin d’Uberto Pasolini nous éclaire sur le rituel insolite concluant le décès des solitaires outre-manche, sombre rappel des abandons consentis par nous-mêmes,  révélés en France en 2003 lors d’une semaine de canicule.

    John May (Eddie Marsan) porte en lui une valeur cardinale mais obsolète en ces temps de rackets financiers, la conscience professionnelle! A quarante quatre ans, ce célibataire goguelin occupe au service des inhumations,  un petit bureau au sous-sol de l’hôtel de Ville ainsi qu’un modeste appartement d’où il prolonge ses investigations afin de conduire dans leur ultime demeure les défunts isolés oubliés ou reniés qu’il a charge d’inhumer,  accompagnés  des anciens proches disparus  au fil du temps ou des déconvenues.

    une belle fin groupe

    Cet homme à l’exquise méticulosité en gabardine, à l’inlassable cartable se heurte à  l’indifférence polie des entourages et accompagne toujours  seul le pasteur aux obsèques du défunt dont il rétablit la dignité à travers l’évocation nécrologique, modèle de délicatesse  inspirée des photos souvenirs récoltées au domicile du décédé, en combinaison d’hygiène. Mais son perfectionnisme anachronique, son abnégation désuète finit par agacer la hiérarchie soucieuse de réduire les procédures et les coûts: il est licencié sans vergogne au terme d’un ultime dossier de trois jours, les funérailles de Billy Stoke,  son vis à vis d’immeuble et d’étage et pourtant inconnu de lui!

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    En fait, l’exacte projection de sa propre solitude! May va donc se surpasser une dernière fois, entrevoyant même la possibilité du bonheur à la rencontre de  Kelly (Joanne Froggatt)  la fille de Stoke si le destin n’était amer pour les êtres délaissés, à la conscience pure.

    De toute la puissance de son intériorité, Eddie Marsan incarne à merveille cet employé d’apparence falot doté d’une humanité confondante, véritable perle qui s’ignore dans le domaine du traitement de la mort des exilés, des isolés ou des sauvages. 

    Pasolini traite le sujet sur un mode mineur, modeste, en écartant le spectaculaire et la dramaturgie conférant au récit l’allure d’une fable parfaitement adaptée à son contenu altruiste et mélancolique.

     

     

     

     

     

     

     


  4. L’épreuve

    4 juillet 2015 par Jacques

    Réalisé par Erik Poppe

    Avec Juliette Binoche, Nikolaj Coster-Waldau, Lauryn Canny…

    Ainsi que le démineur, le photographe de guerre entre dans la catégorie controversée des professions à risques. Comment trouver l’équilibre avec une vie familiale censée, quand au bout du sacerdoce humanitaire qu’exercent ces passionnés du sauvetage ou du témoignage sur la réalité des conflits, il y a le sacrifice possible de sa propre vie! Faut-il renoncer à sa passion pour se ranger à la vie ordinaire?

    Comme démineurs de Kathryn Bigelow avait su révéler une certaine addiction de l’homme pour les situations professionnelles à hauts risques, l’épreuve d’Erik Poppe évoque aussi magnifiquement la passion d’une photographe de guerre internationalement reconnue, Rebecca (Juliette Binoche) pour les reportages  chocs dans l’épicentre des conflits armés les plus sanglants. A Kaboul les préparatifs d’un attentat suicide sont ainsi mitraillés jusqu’à plus soif,  l’appareil photo formant un écran protecteur de la tension qui s’accroît à mesure que le convoi emmène sur les lieux du supplice et de dévastation, une femme martyr bardée d’une ceinture d’explosif.  La conscience de la photographe ne se réveillant qu’ à l’approche du marché à la vue des enfants, futures victimes qu’elle tente d’écarter en tout dernier ressort du convoi mortel.

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    Grièvement blessée dans l’explosion, Rebecca retrouve sa famille Irlandaise et son mari Marcus paisible biologiste marin qui la somme avec sa fille aînée d’abandonner sa profession, lassé de vivre dans l’attente angoissée. Le témoignage des souffrances humaines vaut-il le risque d’une vie! Rebecca ne se pose pas la question, armée de son précieux appareil au cœur du champ de bataille. En visite dans un camp de réfugiés Somaliens apparemment sécurisé, elle confie sa propre fille qui l’accompagne aux humanitaires qui s’effacent  quand éclate une effroyable tuerie inter-ethnique qu’elle photographie en gros plans!

    Mais être témoin c’est aussi être voyeur, Rebecca prend tardivement conscience de l’horreur qui se déroule sous ses yeux en assistant de retour à Kaboul aux prémices d’un autre attentat suicide, celui d’une  fillette.

    Juliette Binoche interprète avec intensité une professionnelle passionnée dont les reportages photos consacrés par les médias internationaux les plus prestigieux ne sont des performances qu’aux prix de risques toujours accrus mais dont les témoignages produisent des effets sociaux et politiques. Ainsi du camp de réfugiés désormais protégé par les autorités. Si l’acte de bravoure maternel fait depuis l’admiration de sa progéniture, le renom d’une situation professionnelle vaut-il durablement le sacrifice  de la vie privée! Erik Poppe ne tranche pas l’issue du dilemme qui hante le film même si on ressent le malaise qui s’empare de l’héroïne au vertige de la vie quotidienne, un décalage qu’éprouvait aussi le lieutenant James, démineur en Irak, de retour dans la vie civile…

     

     

     

     

     


  5. Hope

    3 mars 2015 par Jacques

    Réalisé par Boris Lojkine

    Avec Justin Wang, Endurance Newton, Dieudonne Bertrand Balo’o, Bobby Igiebor…

    L’idéal d’une France patrie des droits de l’homme et terre d’asile selon les principes issus de la Révolution française n’est plus qu’une image d’Épinal à l’heure des codifications de l’espace Schengen, des centres de rétentions et du refoulement musclé des clandestins, hommes femmes ou … enfants. L’africain sans papiers sert d’épouvantail à la progression d’une idéologie de rejet de l’autre et la fermeté à son endroit prévaut sur la bienveillance à droite comme à gauche comme en témoigne l’ensemble des traités européens votés par les partis de gouvernement français pour « lutter contre » l’immigration clandestine. Cette politique de la « défense des frontières » passe sous silence les causes profondes des drames subis par les anciennes colonies sous régimes despotiques que les puissances occidentales économiquement intéressées soutiennent, leur bellicisme foncier qui favorise les marchands d’armes, le pillage des ressources par les multinationales américaines ou européennes. Hormis une caste de notables corrompus, le peuple manque de tout, de sécurité, de travail, de nourriture, d’eau. Aussi les jeunes Nigériens, Congolais ou Camerounais font-ils le choix ultime de s’expatrier au péril de leur vie vers un eldorado imaginaire comme la France où chacun pourra manger à sa faim.  Hope raconte la sidérante odyssée de ces migrants à travers le Sahara jusqu’à la rive marocaine et l’embarquement dans un petit bateau vers l’Espagne.

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    On y découvre un véritable chemin de croix que l’occidental fervent de pérambulations balisées genre marathon des sables ou randonnée de Saint Jacques de Compostelle ne peut guère concevoir tant la violence est omniprésente, dans le désert ou les villes traversées. Les migrants voyagent en groupe pour se protéger des sévices des pillards. Parmi eux, une jeune femme Hope (Endurance Newton), qui repérée lors d’un barrage de nuit est violée par les militaires. Au petit jour, Léonard (Justin Wang) la prend sous son aile mais pour servir de monnaie d’échange à l’arrivée en Ville, afin de s’adjuger les faux papiers et les services d’un passeur de frontière. Toujours à la merci de la police algérienne ou marocaine, les migrants se réfugient selon leur nationalité dans des squats constitués de maisons ou d’usines abandonnées dirigés par un chairman véritable chef de gang qu’il faut rétribuer par tous moyens, larcins ou prostitution. A cause des rafles, l’insécurité est aussi grande dans les forêts occupées par ces mêmes clandestins postés dans les zones frontalières. Le péril est également mortel au franchissement des frontières de barbelés sans parler de la traversée en mer.

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    Boris Lojkine filme cette effrayante aventure avec un réalisme jamais montré à l’écran. La capacité d’endurance des migrants à vivre un tel enfer donne la mesure de la puissance d’attraction mythique que Paris, Londres ou Berlin peuvent signifier dans la conscience d’un jeune Africain. A l’image de l’Amérique au 19ème siècle, les pays européens incarnent la terre promise comme remède aux difficultés dévastatrices subies au Mali, au Niger, au Tchad. L’exode et le risque d’y laisser sa peau sont entièrement assumés par ces baroudeurs du Sahara nantis pour seul bagage d’un petit sac à dos et d’un courage à toute épreuve. Au fil des déchirements du récit, Hope et Léonard d’abord unis par la seule conjoncture utilitaire bâtissent une complicité amoureuse qui renforce les chances de survivre au calvaire enduré. L’amour partagé est un atout pour le migrant clandestin dont le martyre n’est pas terminé…

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


  6. Qui vive

    20 décembre 2014 par Jacques

    Réalisé par Marianne Tardieu

    Avec Reda Kateb, Adèle Exarchopoulos, Rashid Debbouze…

    Qui vive façonne le portrait d’un agent de sécurité toujours sur ses gardes à la porte d’un super marché, tenaillé par le doute à cause d’une mauvaise cravate, d’un excès de fermeté ou de mansuétude vis à vis des fraudeurs. Trentenaire, Chérif (Reda Kateb) est porteur d’un idéal plus élevé, signer après trois échecs, son entrée en école d’infirmiers. Pour l’heure, entre son désir de demeurer en phase avec ses potes de jeunesse, son identité passée et de faire triompher  ses aspirations individuelles, son identité rêvée, synonyme d’une incommunicable évasion, sa vie personnelle est plombée par sa situation sociale, hébergé chez les parents dans une cité qui l’a vu naître. Entre les immeubles HLM, certains baguenaudent le soir en bande, s’exercent aux menus larcins prélude à de futurs trafics, d’autres jouent au foot-ball porteur d’une image positive, à défaut de perspectives valorisantes. Chérif le doux, aimé des enfants dont il s’est occupé dans le cadre d’un petit boulot au Collège,  rencontre une animatrice du centre de loisirs Jenny (Adèle Exarchopoulos) une jolie artiste à ses heures, qui excelle au dessin et conçoit des animations sur ordinateur. Bonheur fugace, une bande de jeunes charrie le vigile sur son lieu de travail, reproche implicite d’une forme d’assimilation jalousée puis le provoque physiquement devant sa compagne, manière d’asservir à un processus de référence au quartier, la violence. Pour la défense de son intégrité sociale fragile, Chérif fait appel à son ami de toujours, un caïd  délinquant, Dedah ( Rashid Debbouze) capable de mettre un terme au harcèlement mais au risque d’enclencher un engrenage malfaisant.

    qui vive couple

    Les surfaces commerciales édifiantes parmi les pelouses au cœur de l’ancienne cité de transit réhabilitée, forment le symbole d’une société inaccessible. Braquer les enseignes, c’est prendre sa revanche pour qui a fait choix de sortir de la pénurie au moyen de la délinquance. Chérif lui, tente de s’insérer dignement ne fût-ce que par la petite porte. Mais, issu du même creuset que ses frères, il danse sur une corde raide jamais assuré de sa trajectoire, réussir haut la main son concours ou échouer menotté dans un commissariat de police! Et comment se comporter face aux plus jeunes qui menacent votre virile assurance, entravent votre cheminement et vous ramènent en arrière? Marianne Tardieu filme le parcours aléatoire d’un aspirant sincère à l’intégration sociale mais handicapé par le sentiment de n’être que le maillon faible de la chaîne. Reda Kateb visage ambivalent à la fois doux et marqué, incarne avec brio ce funambule plus à l’aise en survêtement qu’en costume, tourmenté par le choix des bonnes réponses aux enjeux professionnels. Sur le visage de ce grand comédien se lit ici toute la difficulté de devenir un lauréat, porteur des stigmates de la vie en « banlieue ».

     

     

     

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  7. Bande de filles

    29 novembre 2014 par Jacques

    Réalisé par Céline Sciamma

    Avec Karidja Touré, Assa Sylla, Mariétou Touré, Lindsay Karamoh, Idrissa Diabaté…

    Depuis la fureur de vivre, peinture d’une révolte fondatrice contre l’autorité paternelle, le cinéma a multiplié au sein de la famille, de la cité ou de l’université, les angles de vues sur la question de l’émancipation de la jeunesse, entre malaise et violence (la haine), la mixité sociale (entre les murs), l’initiation amoureuse (la boume) jusqu’aux extrêmes, la dérive sanglante schizophrène  (Elephant) et la bouffonnerie régressive (Américan pie). Dans le sillon de l’esquive d’Abdellatif Kechiche, prodigue d’effets narratifs subtils et réalistes, Céline Sciamma (Tomboy) poursuit son analyse inspirée de la construction identitaire d’adolescentes en suivant les pérégrinations d’une bande de filles en banlieue parisienne.

    bande de fille vic

    L’entrée au Lycée barrée par de faibles résultats scolaires, un frère aîné tyrannique, seule figure patriarcale dans un foyer bruyant, un appartement au sommet d’une tour, une mère absorbée par son métier de femme de ménage, la charge domestique d’une petite sœur, Marième (Karidja Touré) vit à seize ans une intense déception quand elle croise une bande de filles également d’origine africaine, postée en vigie à la porte du Collège et gentiment provocatrice. Au contact des trois meneuses en rupture de banc scolaire, elle libère sa chevelure, se pare de vêtements de couleurs chapardés dans les grands magasins valorisant sa féminité, première étape de sa mue identitaire. La bande devient le substitut affectif aux carences familiales et la chambre d’hôtel louée, le refuge ou les corps se libèrent à l’unisson, dans le vertige de la danse, sur un tube de Rihanna et puis s’endorment agglutinés comme des chiots apaisés sur une litière. La délinquance affleure aussi, et le racket de collégiennes intimidées finance les trajets en RER vers la Capitale. Marième devenue Vic, Adiatou, Fily et Lady croisent dans le Métro ou le Snack d’autres bandes pour se défier aussitôt, se toiser verbalement. Le besoin d’affirmation engendre également des bagarres ritualisées entre doges jusqu’à l’humiliante défaite de la rivale diffusée sur You Tube. Vic qui a démontré son ascendant dans un combat de ce genre  s’émancipe d’avantage en perdant sa virginité tout en repoussant  la normalisation par le mariage,  reflet du stéréotype maternel.

    bande de fille danse

    « T’es qui toi », « c’est quoi ta vie », au delà du paraître, les protagonistes de bande de filles sont questionnées en profondeur par l’être et le devenir. La réalisatrice s’attarde sur l’itinéraire de Vic, enrôlée par un caïd, devenue dealeuse pour soirée branchée , un personnage endossé comme une identité à l’essai qui peut tourner court ou ouvrir la voie à la délinquance dure, à la prostitution.  Le passage de l’état d’adolescence à l’état adulte apparaît alors comme une succession  d’expériences initiatiques, un parcours d’obstacles pour celles empêchées très jeunes de « faire comme tout le monde ». A défaut d’institutions, la personnalité s’édifie au sein de la bande et s’émancipe au grand air de la tentation commune, la société de consommation. Bande de fille est une épure très fine de l’adolescence marginalisée socialement qui doit sa sincérité  à la spontanéité des interprètes non professionnelles.

     

     

     

     

     

     


  8. Geronimo

    18 novembre 2014 par Jacques

    Réalisé par Tony Gatlif

    Avec Céline Sallette, Rachid Yous, David Murgia, Nailia Harzoune…

    Grâce à son aplomb, solitaire face aux adolescents dans les rues, les squats ou les bars, une éducatrice d’un quartier bouillonnant du Sud  est devenue Géronimo (Céline Sallette), une véritable chef de bande, capable de tancer d’un coup de tête, celui qui lui manque de respect, pour obtenir la confiance, faire passer des messages, immergée de jour comme de nuit dans son éprouvant métier.  Mais sa résistance sera mise à rude épreuve. Fuyant un mariage forcé, une mineure turque rejoint son amoureux appartenant à la communauté gitane. Cet enlèvement d’Hélène par Pâris provoque une guerre des clans que la jeune femme, missionnaire jusqu’au boutiste, veut conjurer.

    geronimo celine

    Dans les lieux désertés par la plupart des institutions, Céline Sallette incarne avec une énergie farouche voire messianique, l’ultime rempart de la sociabilité. A la manière de West Side Story, le drame ici fait la part belle à la chorégraphie des rixes entre les familles ennemies censées laver au couteau, torses nus et fiers, l’affront domestique. Tony Gatlif oppose à la passion croisée de Juliette et de Roméo, le poids de la tradition familiale, le mythe de la race purifiée par la vengeance et la folie homicide. Un film  traversé d’effusions poétiques filmées à travers les vagues, les oyats ou les cactus, de courses débridées et d’une bande son à la virtuosité tzigane.

    géronimo moto


  9. The Salvation

    25 octobre 2014 par Jacques

    Film de Kristian Levring

    Avec Mads Mikkelsen, Eva Green, Jeffrey Dean Morgan, Eric Cantona…

    Le western  au cinéma apparaît depuis l’âge d’or des années cinquante comme un genre si exploité et si codé qu’il est bien rare d’en découvrir une nouvelle facette sur nos écrans. Mais sa résurgence ravivant les grandes thématiques, la quête vengeresse (True Grit), les déboires du pionnier (The Homesman), la violence intrinsèque (Django  Unchained), l’exaltation des grands espaces incertains (La dernière piste) comble toujours les amateurs du genre. L’épopée pionnière possède aussi des racines européennes que le Danois Kristian Levring dans The Salvation, explore à son tour sans coups d’éclat mais avec fidélité à la liturgie.

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    Jon (Mads Mikkelsen) qui a émigré avec son frère en Amérique  après la guerre des Duchés perdue par  le Danemark retrouve avec bonheur femme et enfant à la gare mais le voyage en diligence de la famille reconstituée tourne au drame, deux bandits quo-voiturés se montrant arrogants puis menaçants. Jon tente de calmer le jeux mais perd trés vite le contrôle de la situation, en honnête homme entravé brutalement dans sa mission essentielle de protection des siens.  Sa poursuite à pied de la diligence infernale dans le silence nocturne de la plaine revêt des accents fantasmagoriques évoquant l’ambiance cauchemardeuse de la nuit du chasseur. Mais l’homme qui n’est pas un fermier lambda, rejoint puis abat les assassins de son fils et de sa femme, Il est désormais traqué par Delarue, un chef de bande qui terrorise la ville et rachète à vil prix des terres gorgées d’huile noire pour le compte d’une compagnie. Le gibier toutefois, quant le frère est massacré à son tour, se transforme en redoutable chasseur seul ou presque face à un gang, mais solidement armé de sa cuirasse d’ancien militaire.

    the salvation eva

    Avec pour vrai atout la qualité esthétique de sa photo, The Salvation revisite les archétypes du western, sa ville en gestation apeurée soumise et lâche, son capitalisme naissant symbolisé par la prédation foncière et l’alliance des truands et des hommes d’affaires dans un État de non droit, sa violence aveugle et sa loi du plus fort, du mieux armé. La ville est mise en coupe réglée par la terreur des meurtres d’otages, métaphore d’une forme absolue et intemporelle d’asservissement. Première victime de cette société délétère, le fermier sauf à résister à l’oppression.  Démarche toujours solitaire qui engendre le héros et rétablit l’équilibre entre le bien et le mal. Mads Mikkelsen incarne ce brave, minéral à souhait dans le rôle de l’agneau muté en loup; A ses côtés,  Eva Green, une indienne à la bouche meurtrie, captive aux yeux troubles nimbe la pellicule de sa parfaite sensualité. Parmi les malfrats pointe la silhouette taciturne d’Eric Cantona.

     

     

     


  10. Les combattants

    1 septembre 2014 par Jacques

    Réalisé par Thomas Cailley

    Avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, Brigitte Roüan, Antoine Laurent…

    L’attirance peut naître parfois d’une rencontre avortée.  Lors d’un combat rapproché sur la plage sous l’égide de l’Armée de terre, le frêle Arnaud (Kevin Azaïs) apprenti menuisier subit la loi de Madeleine  (Adèle Haenel) le corps idéalement sculpté par une pratique sportive intensive,  nage sous marine, ou judo.  Nantie d’un Master en « économie du futur », la jeune femme n’a qu’une obsession, se préparer aux risques d’une catastrophe naturelle ou d’un accident nucléaire et développer son aptitude à la survie par exemple en avalant pour s’endurcir, une bouillie de poisson cru ou en décapsulant une canette à la dent, avant d’intégrer bientôt un régiment d’élite. Lui n’est guère pressé  de s’impliquer dans la menuiserie familiale selon le vœu  de la mère, veuve depuis peu, ou du frère aîné,  de devenir déjà un acteur à part entière d’une vie professionnelle toute traçée: son centre d’intérêt est d’une autre nature. Dans le milieu de la camaraderie estivale, dominé par l’insouciance, Madeleine surprend le jeune homme par sa solidité, son indépendance, ses sombres pronostics, son caractère un poil rigide. Inébranlable dans ses choix, la dur à cuire part donc en stage de quinze jours chez les dragons parachutistes mais l’attentionné Arnaud s’aventure à la suivre comme le poisson nettoyeur se lie au requin.

    Toute colorée d’une ironie bien calibrée, la vie de caserne propose une autre version de l’utopie du surhomme, lit moelleux pour les participantes, flamby comme désert, et la diplômée questionnant le sens du devoir s’éloigne de l’esprit de corps mis en exergue par L’armée. L’activité maquillage de nuit qui oblige à caresser chaque partie du visage de l’autre offre aux deux protagonistes, une séquence intimiste de nature à ébranler les esprits. Ainsi, les certitudes de l’une vacillent, la confiance en soi de l’autre s’affermit et au jeux hérités du scoutisme, Arnaud se révèle supérieur à sa rivale, aussi, pour achever de la convaincre, il abandonne la course d’orientation des militaires  pour une opération de survie improvisée en pleine nature, la forêt aquitaine offrant son cadre idyllique à l’éclosion du lien amoureux. Mais l’apparente sérénité de la sylve dissimule aussi de bien réels dangers dont on n’échappe pas sans alliés, le facteur chance, un partenariat à toute épreuve.

    les combattants

    Thomas Cailley stratifie avec élégance une romance qui ne dit pas son nom, car les étapes du déroulé amoureux reposent sur le hasard des effets de choc entre deux tempéraments parfaitement opposés, mis au défi d’épreuves concrètes imprévisibles. Chaque palier où s’installe  une relative complicité est souligné d’une parenthèse enchantée musicalement. Entre les comédiens principaux et secondaires civils ou militaires, une parfaite osmose assure l’unité du récit.  Les combattants forment une matière innovante en combinant avec fluidité des styles diversifiés  une chronique familiale, une intrigue sentimentale, un récit d’initiation à l’armée de terre, un scénario de catastrophe. Obstinément ou tranquillement, Adèle et Arnaud s’affranchissent des postures assignées, prêtes à porter, pour trouver un point d’équilibre au sortir d’une expérience vitale. Chère au réalisateur, la nature à la fois dépouillée et grandiose parvient à mettre à nu la vérité des individualités au sein d’un couple inattendu et attachant.