
Réalisé par
Terence Davies
Avec
Rachel Weisz, Tom Hiddleston, Simon Russell Beale…
Aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, la haute société londonienne retrouve son apprêt et ses convenances, la traditionnelle cup of tea familiale de 16 heures, les parties de tennis ou de golf caractérisant une appartenance de classe et Sir William Collyer, haut magistrat réputé est le parfait représentant de sa caste. Sortie des tourments de la guerre, son épouse Hester le quitte néanmoins pour vivre une passion tumultueuse avec un pilote héros rescapé de la Royal Air Force, Freddie Page, séducteur désargenté confronté à la difficile recomposition de sa vie à l’issue d’une étape aussi glorieuse que pleine de dangers et qui s’oublie en rires en chansons et en frivolités dans les tavernes.
C’est pour Hester l’abandon d’une vie aristocratique et son cadre princier contre un appartement meublé et équipé de compteurs à sous, dans un immeuble collectif mais où se reflètent à chaque étage, des vies qui ne sont pas régies par la convention, mais par la compassion, l’entraide et la solidarité, valeurs humanistes qu’il est au contraire de bon ton de taire dans le tissu de la société bourgeoise de l’époque pour ne jamais dévier de l’étiquette, garante d’un ordre matériel et moral.
Mais entre Hester et Freddy aussi entièrement exaltés l’une, par le vécu de sa passion dévorante que l’autre, par le souvenir aphrodisiaque des combats aériens où l’on côtoie la mort chaque jour, il n ‘y a pas de cristallisation possible de leur relation dans une normalité sereine. Le jour de son anniversaire, Hester fait une tentative de suicide, meurtrie par l’omission de son amant, et tirée d’affaire par l’humaine attitude de ses voisins.
C’en est trop pour l’amant blessé par ce chantage affectif outrancier qui rompt pour s’expatrier en Amérique du Sud, inapte à assumer un amour aussi enveloppant.
Le film de Terence Davies débute par un acte manqué mortifère et s’achève par une vision de Londres à travers la vitre d’un appartement, ses ruines proches, terrain de jeux des gamins symbole de renaissance. L’âme humaine comme la ville, meurtries, mettront du temps à cicatriser, rescapées de la mort et de la nuit.
The deep blue sea explore l’entrelacs des rapports amoureux unissant la femme, le mari et l’amant, un triangle emblématique d’une société mise à l’épreuve, bousculée dans son fondement, le mariage!
Blessé dans cette adversité, le mari demeure le parangon de dignité vivant dans l’espoir que le soufflet du désir d’échappatoire de son épouse retombe comme une illusion, consacrant même son romantisme foncier en lui offrant par exemple un recueil de sonnets et devinant bien que l’amant désertera bientôt le terrain miné de la passion puisqu’il choisira la rupture et l’action galvanisante dans un autre continent.
Hester veut s’affranchir des privations du passé en s’accrochant au mirage d’une passion totale vécue sur le principe de l’adoration jusqu’à l’entêtement, un système idéalisé au sein duquel toute icône ne peut que déchoir et le lien se rompre dans la tragédie, victime des errements de l’orgueil jusqu’au-boutiste.
En contenant la douleur pour ne pas apparaître en suppliante, Rachel Weisz soulevée puis brisée dans son élan vital donne un visage sublime à ce drame à inscrire dans le sillon des œuvres où la sensibilité s’exerce à fleuret moucheté (la princesse de Clèves, l’amant de Laddy Chaterley) ou celles chorégraphiant l’émotion et la souffrance amoureuse (Madame Bovary).