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‘Drame’ Category

  1. Argo

    novembre 9, 2012 by Jacques

    Réalisé par Ben Affleck
    Avec
    Ben Affleck, Bryan Cranston, John Goodman…

    Le 4 Novembre 1979, au déclenchement de la révolution iranienne, l’ambassade américaine de Téhéran est prise d’assaut par une foule de manifestants exigeant l’extradition du Chah en échange de la libération de cinquante deux employés pris en otages et menacés de représailles. Le gouvernement Carter subit un camouflet mais, parvenir à rapatrier sans dommages collatéraux, 6 américains réfugiés in extremis à l’ambassade du Canada et talonnés par la police politique, réduirait l’affront.

    Un expert en exfiltration de la CIA, Tony Mendez (Ben Affleck) va tenter le coup de poker improbable d’embarquer les fugitifs à l’aéroport, maquillés en équipe de tournage d’un film de Science Fiction «Argo», venue en repérage sur les plateaux montagneux et désertiques.

    La marche du monde assimilée à une vaste comédie, c’est en regardant «la planète des singes» à la télévision qu’a jailli l’idée du subterfuge au scénario insensé, (celui du film la vache et le prisonnier), pour déjouer les barrages filtrants de policiers sur les dents avant d’ accéder au vol pour la Suisse, sésame vers la liberté.

    Mendez s’introduit en Iran barbu, dissimulé en producteur adjoint autant qu’en disciple du prophète concurrent des ayatollahs, désireux de sauver ses compatriotes, fragile au point d’apaiser dans l’attente, les tensions au whisky, mais solide en action, au point d’observer impavide, le déroulement d’un scénario conçu par lui, au suspense tendu à souhait par la confrontation permanente de l’attente angoissée des réfugiés avec l’environnement étranger définitivement hostile.

    Argo séduit par la valeur auto-critique du récit du soutien américain à une monarchie élitiste coupée du peuple et ses dérives illustrées par l’embarquement de tonnes d’or dans les bagages du Chah d’Iran envolé pour un exil aux USA, rompt avec la diabolisation manichéenne en donnant à voir et à entendre le peuple iranien laissé pour compte, attablé à la terrasse des premiers mac do puis contraint à l’exil voire pendu à la flèche d’une grue, tel un trophée d’épouvante.

    Il rend hommage à la puissance d’Hollywood, à l’universalité de sa communication, les révolutionnaires les plus zélés succombant ainsi que des enfants à la rhétorique narrative de l’usine à rêves et assoit la primauté de l’individu sur l’institution dont il émane. Pour éviter le ridicule d’un échec, l’opération est annulée, mais Tony Mendez s’affranchit des directives politiciennes cyniques au nom de la responsabilité de l’homme de terrain.

    Il faut souligner que, recevant la médaille de la bravoure, le héros dédouane l’administration de son impéritie comme la canonisation de Jeanne d’Arc a corrigé la faute de sa mise à mort sur le bûcher. Argo, le navire des conquérants de la toison d’or est bel et bien un film de propagande à la gloire du héros américain, dont l’image ethnocentrique, s’ épingle dans chaque chambre d’enfant. Sous toutes les latitudes cependant, l’idéologie du surhomme à connotation nietzschéenne est probablement plus sélective que démocratique véhiculant une stratégie de l’impérialisme à visage humain.


  2. Le train siffera trois fois

    novembre 3, 2012 by Jacques

    Réalisé en 1952 par Fred Zinnemann
    Avec
    Gary Cooper, Grace Kelly, Katy Jurado, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges

    Avec ses grands espaces traversés par des convois de colons sous la menace des attaques de peaux rouges et la protection des tuniques bleues, ses troupeaux de buffles ou de bisons, peuplant la vaste prairie, ses cow-boys à cheval et, reliées par la chevauchée des diligences ou saluées par le sifflement du cheval vapeur, des villes en gestation entre les rocheuses, aux prises dès que se polarisent les fonctions urbaines porteuses d’enjeux incarnées par le temple, le saloon, la banque ou la boutique, à des conflits opposant l’ordre au désordre, l’équité ou l’avidité, tranchés dans les rues poussiéreuses, battues par le vent du désert charriant les buissons desséchés, par l’ordalie toujours renouvelée du duel au revolver, le western s’est imposé au cinéma comme l’emblème d’une Amérique qui se fonde dans un théâtre où triomphent les valeurs individuelles.

    En épousant Emma Fuller (Grace Kelly) une apôtre de la non violence, William Kane (Gary Cooper) troque l’insigne de chérif pour un avenir de commerçant quaker. Perspective de bonheur aussitôt rebattue: le télégraphiste de la gare annonce par le train de midi, le retour au pays de Franck Miller, un psychopathe sorti de prison flanqué d’une bande de tueurs, venu se venger de son arrestation et refaire main basse sur la ville.

    A l’inverse du juge qui fuit avec sa malle pleine des instruments d’une justice encore balbutiante, Kane décide de faire front mais la milice privée lui fait défaut, tétanisée par le danger et sa jeune épouse, heurtée de plein fouet dans son idéalisme pacifiste, le quitte. «Si toi aussi tu m’abandonnes, il ne me restera plus rien» sinon à vivre douloureusement le court laps de temps qui sépare du retour des forces diaboliques. La ville, libérée jusque là de ses démons et quadrillée dans son filet de protection par les pérégrinations scrupuleuses du représentant de l’ordre, devient alors une prison pour lui, quand toutes les portes se ferment, celles du temple comprises, réfugié dans sa prudente neutralité.

    La ville de l’ouest est un espace social sans véritable solidarité et son destin oscille entre droiture et luxure, deux manières opposées de prospérer. Mais, dans la tradition du western, l’amour est une force salvatrice, la tenancière du bar le plus recherché, qui fut l’amie de Kane, Hélène Ramirez (Katy Jurado), la femme en noir, quitte une ville en perdition non sans ébranler le dogmatisme de sa rivale, la femme en blanc, passage de témoin entre l’âpre expérience de la brutalité de l’époque et l’innocence rudoyée par elle.

    Le courage du chérif est bousculé par une réalité de plus en plus menaçante, à mesure que s’égrainent les minutes, mais à midi, quand le train siffle trois fois, le héros pour vaincre se pare des armes de la ruse, une valeur héritée de la mythologie antique à l’origine de la stratégie du faible au fort, guerrier d’Horace contre les Curiaces. Il faut dire qu’Emma est venue à temps lui prêter main forte, cimentant dans l’adversité l’union du couple, seul pilier tangible dans la société américaine de la conquête de l’ouest.

    Le train sifflera trois fois fait l’éloge du couple américain, l’axe majeur d’une idéologie de la réussite et instaure la typologie du héros fragilisé par la défection généralisée de son entourage. Au final, William et Emma Kane qui sont les rescapés victorieux d’une double condamnation, celle des tueurs et celle de leurs concitoyens disparaissent, en laissant la cité à son examen de conscience. La ballade romantique et dépouillée de John William qui accompagne le film a contribué à sa légende.


  3. Quelques heures de printemps

    septembre 29, 2012 by Jacques

    Réalisé par Stéphane Brizé
    Avec
    Vincent Lindon, Hélène Vincent, Emmanuelle Seigner, Olivier Perrier, Silvia Kahn…

    A sa sortie de prison, sans foyer et sans boulot, Alain Evrard (Vincent Lindon) n’a d’autres ressources que le retour au domicile de sa mère, Yvette (Hélène Vincent) méticuleuse maîtresse d’un pavillon coquet. Ancien chauffeur routier, Alain, parce qu’il opère dans un centre de tri des déchets se sent doublement diminué: dans la demeure de la veuve, le respect de l’étiquette, fumer dehors, ranger sa chambre, essuyer les pattes du chien au retour de la promenade, indique la bonne conduite au quotidien et tient lieu d’unique relationnel.

    Atteinte d’une tumeur cérébrale avec métastases, Yvette suit le traitement à la lettre, mais prévenue par des vertiges et des nausées que ses jours sont comptés, envisage, encadré par une association, le suicide assisté découvert à la télévision, plutôt que les soins palliatifs du protocole hospitalier.

    Au bowling, Alain attire Clémence (Emmanuelle Seigner) mais, paralysé du langage, incapable de dire sa difficulté présente, échoue à métamorphoser les liens du corps en liens d’esprit, à l’origine des sentiments amoureux durables.

    Au foyer maternel, les relations dégénèrent , le fils s’isolant dans la cuisine avec la radio quand sa mère dine dans la salle à manger avec la télévision et le cane corso de compagnie devient l’enjeu d’une sourde rivalité, jusqu’à l’inévitable rupture. Excédé par les reproches implicites, Alain à deux doigts de boxer sa mère se réfugie chez un voisin altruiste, M Lalouette (Olivier Perrier) dont l’empathie naturelle est parvenue à fendre l’univers clos d’Yvette avec laquelle il partage de longue date, des après-midi rituels à base de tasses de café, de jeu de puzzle et de succulentes compotes.

    «Quelques heures de printemps», celles qui baignent l’ultime voyage vers le chalet mortuaire Suisse, explore les séquelles de la disharmonie du couple originel entre un père caractériel et brutal aujourd’hui disparu et une mère entêtée, victime des souffrances du passé, repliée sur elle-même dans son refuge domestique. Alain qui s’est identifié au père, a sombré dans une spirale dépressive, emmuré dans ses échecs avec pour seul exutoire, des accès de violence verbale où la fuite pour échapper à l’oppression des évènements.

    Yvette s’est construit un univers aseptisé en réaction aux salissures de la vie mais sans réduire les tensions intérieures qui ont migré symboliquement en mélanome cancéreux. La rectitude est une posture de vie, l’ordre et la propreté un rempart, et la maladie ne conduit pas forcément selon elle, à la déchéance paternelle passée si l’on meurt debout au lieu de se laisser tomber par terre: Yvette a fait choix de mourir vivante.

    Les « clés » de la maison:

    A l’instant de la séparation irréversible, y a t-il des mots pour combler l’abime qui sépare une mère de son fils, des mots qui serviraient de catharsis pour le salut du vivant!

    «On est pas là pour être aimés», «Mademoiselle Chambon», «quelques heures de printemps», mieux que tout autre réalisateur, Stéphane Brizé dépeint les silences, les non-dits, les occasions manquées entre des êtres figés dans leur identité et la difficulté dans l’existence de s’accommoder de deux extrêmes, la peur de l’autre à l’origine de l’auto-protection qui sclérose et l’amour d’autrui à la découverte de l’altérité qui enrichit.


  4. The deep blue sea

    août 20, 2012 by Jacques

    Réalisé par
    Terence Davies
    Avec
    Rachel Weisz, Tom Hiddleston, Simon Russell Beale…

    Aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, la haute société londonienne retrouve son apprêt et ses convenances, la traditionnelle cup of tea familiale de 16 heures, les parties de tennis ou de golf caractérisant une appartenance de classe et Sir William Collyer, haut magistrat réputé est le parfait représentant de sa caste. Sortie des tourments de la guerre, son épouse Hester le quitte néanmoins pour vivre une passion tumultueuse avec un pilote héros rescapé de la Royal Air Force, Freddie Page, séducteur désargenté confronté à la difficile recomposition de sa vie à l’issue d’une étape aussi glorieuse que pleine de dangers et qui s’oublie en rires en chansons et en frivolités dans les tavernes.

    C’est pour Hester l’abandon d’une vie aristocratique et son cadre princier contre un appartement meublé et équipé de compteurs à sous, dans un immeuble collectif mais où se reflètent à chaque étage, des vies qui ne sont pas régies par la convention, mais par la compassion, l’entraide et la solidarité, valeurs humanistes qu’il est au contraire de bon ton de taire dans le tissu de la société bourgeoise de l’époque pour ne jamais dévier de l’étiquette, garante d’un ordre matériel et moral.

    Mais entre Hester et Freddy aussi entièrement exaltés l’une, par le vécu de sa passion dévorante que l’autre, par le souvenir aphrodisiaque des combats aériens où l’on côtoie la mort chaque jour, il n ‘y a pas de cristallisation possible de leur relation dans une normalité sereine. Le jour de son anniversaire, Hester fait une tentative de suicide, meurtrie par l’omission de son amant, et tirée d’affaire par l’humaine attitude de ses voisins.

    C’en est trop pour l’amant blessé par ce chantage affectif outrancier qui rompt pour s’expatrier en Amérique du Sud, inapte à assumer un amour aussi enveloppant.

    Le film de Terence Davies débute par un acte manqué mortifère et s’achève par une vision de Londres à travers la vitre d’un appartement, ses ruines proches, terrain de jeux des gamins symbole de renaissance. L’âme humaine comme la ville, meurtries, mettront du temps à cicatriser, rescapées de la mort et de la nuit.

    The deep blue sea explore l’entrelacs des rapports amoureux unissant la femme, le mari et l’amant, un triangle emblématique d’une société mise à l’épreuve, bousculée dans son fondement, le mariage!

    Blessé dans cette adversité, le mari demeure le parangon de dignité vivant dans l’espoir que le soufflet du désir d’échappatoire de son épouse retombe comme une illusion, consacrant même son romantisme foncier en lui offrant par exemple un recueil de sonnets et devinant bien que l’amant désertera bientôt le terrain miné de la passion puisqu’il choisira la rupture et l’action galvanisante dans un autre continent.

    Hester veut s’affranchir des privations du passé en s’accrochant au mirage d’une passion totale vécue sur le principe de l’adoration jusqu’à l’entêtement, un système idéalisé au sein duquel toute icône ne peut que déchoir et le lien se rompre dans la tragédie, victime des errements de l’orgueil jusqu’au-boutiste.

    En contenant la douleur pour ne pas apparaître en suppliante, Rachel Weisz soulevée puis brisée dans son élan vital donne un visage sublime à ce drame à inscrire dans le sillon des œuvres où la sensibilité s’exerce à fleuret moucheté (la princesse de Clèves, l’amant de Laddy Chaterley) ou celles chorégraphiant l’émotion et la souffrance amoureuse (Madame Bovary).


  5. Citizen Kane

    août 10, 2012 by Jacques

    Réalisé par Orson Welles
    Avec
    Orson Welles, Joseph Cotten, Everett Sloane

    A 70 ans Charles Foster Kane ancien magnat de la presse expire dans son luxuriant palais solitaire de Floride, en prononçant un seul mot, «rosebud», une boule de neige souvenir se détachant de sa main, ultime fétiche roulant sur le parquet. Aussitôt, la garde malade croise les bras du défunt et étend sur lui, le drap mortuaire.

    En cette année 1941, les actualités cinématographiques font la part belle à la disparition de ce notable tout en ombre et en lumière, parfait symbole d’une Amérique ambivalente, ambitieuse au nom d’un idéal, jusqu’à l’entêtement dévastateur.

    Parce que la chronologie de la vie de Kane est emblématique de l’essor américain, «rosebud» est sans doute le ressort intime, la clé d’une vie révélatrice du tout, sur laquelle enquêter en vue d’un scoop. Pressé par sa direction, un journaliste va tenter de cerner l’être à travers le récit du paraître.

    A l’âge de 10 ans, le jeune Kane a vécu un extraordinaire bouleversement, un conte de fée s’il ne comportait pas la plus maudite des contreparties, car il hérite d’une mine d’or à la seule condition, protectrice évidemment des intérêts d’une caste, d’être élevé jusqu’à ses 25 ans par le banquier administrateur du bien. Brutalement arraché à sa luge, à ses collines enneigées, au berceau maternel, l’enfant, dans le sifflement d’un train disparaît pour toujours vers le lointain, avec son tuteur.

    Et, 15 ans plus tard, cet archétype de la mythologie américaine entre en possession d’un empire industriel et d’une fortune colossale, misée par défi, sur un seul jouet, un quotidien new-yorkais à faible tirage, «l’enquêteur!».

    Charles, épaulé par Jedediah Lelan son ami, critique de théâtre, transforme le quotidien en instrument de conquête de l’opinion, publiant une charte déontologique censée marquer l’esprit des lecteurs, se faisant fort de dénoncer les abus, scandales et manœuvres des hommes politiques ou des industriels. Les ventes du quotidien ainsi modernisé et renforcé des meilleures plumes, s’envolent et «l’enquêteur» traverse sans dommages, la grande crise boursière de 1929 en se restructurant.

    Charles voyage beaucoup, rencontrant les grands d’un monde qu’il rêve de conquérir, collectionne les œuvres d’art mais aussi les animaux vivants dont il emplit son Palais jusqu’à l’anormalité, comme pour satisfaire un instinct de possession démesuré, narcissique, à la mesure de la blessure originelle, jamais guérie d’une enfance sans amour.

    Sa soif de domination le conduit à la candidature au poste de gouverneur de l’État, tremplin assumé vers la maison blanche. Mais son adversaire aura raison de lui en dénonçant une liaison extra- conjugale révélatrice pour le grand public d’une incapacité à dépasser l’instinct de jouissance que suppose le service vrai de l’intérêt général.

    Le fer de lance du clan Kane, Jedediah, journaliste progressiste, désillusionné et en passe de rompre avec son mentor prophétise: «quand tes chers travailleurs s’animeront, tes privilèges ne vaudront pas chers!», mais Charles qui depuis l’enfance, ne pratique pas l’amertume, rebondit en s’amourachant d’une passante qui chante assez bien au piano et qu’il épouse pour en faire une grande cantatrice, édifiant un opéra à sa gloire. Or l’effet pygmalion à ses limites et la distorsion est trop grande, malgré des unes de presse, faussement dithyrambiques. Humiliée, l’épouse quitte la palais du grand homme, brisée par l’épreuve, sans parvenir à trouver pour son salut, d’autre béquille que l’alcool.

    Face au personnel médusé, Kane saccage alors la pièce désertée par son épouse, dans un accès de colère, soupape d’émotion violente, comme celle de jadis où il frappa de sa luge un banquier, son voleur d’enfance.

    Citizen Kane apparaît bel et bien comme un monument cinématographique. C’est le récit d’une épopée combinant le drame fondateur, le goût du jeu dominateur, la dérive perverse mégalomane qui embrasse le triangle infernal des relations médiatiques, politiques et sexuelles avec un sens de l’universel préfigurant par exemple, la saga des Kennedy.

    Les personnages de ce cycle incarnent tous, la profondeur des mythes freudiens, l’une tentant de reconstituer le puzzle de sa pauvre existence, l’autre ayant voué sa vie à plus grand que lui et le troisième bâtisseur d’un château voué à la décrépitude des illusions défaites, accumulation n’étant pas raison.

    La caméra de Welles se répand en un véritable ballet d’une extrème virtuosité, édifiant des plans séquences d’une beauté rarement égalée dans l’histoire du cinéma. Elle franchie le portail monumental interdit, barré d’un K puissant pour dresser le constat d’une Amérique prétentieuse mais fragile. Elle perce sous l’orage, les toits d’une bibliothèque pour dénicher le contenu d’un mémorial et révèle, l’usure des sentiments amoureux en 3 plans successifs, aussi brefs qu’éloquents. Au petit déjeuner s’exprime la vérité des couples! Aérienne, elle se fige dans les recoins, révélant la part d’ombre, la fantasmagorie du légendaire personnage, dont la vérité du mot ultime échappe à l’homme de plume pour se confier au spectateur, Aussi puissant soit-il, nul ne guérit d’une enfance outragée.

    Welles acteur, vénérait Raimu tenu pour le plus grand! Ils se valent pourtant ces deux comédiens de génie qui surent interpréter leur personnage tout en finesse, jusqu’à la démesure, construisant une oeuvre cinématographique à nulle autre pareille!

    *


  6. La part des anges

    juillet 27, 2012 by Jacques

    Réalisateur: Ken Loach
    Avec Paul Brannigan, John Henshaw, William Ruane, Gary Maitland, Jasmin Riggins, Roger Allam, Siobhan Reilly…

    Au tribunal correctionnel de Glasgow, c’est le défilé ordinaire des délinquants surpris en flagrant délit, qui titubant sur une voie ferrée en activité, qui urinant sur la statue de Wellington, qui ayant volé un oiseau au super-marché ou qui, s’étant rebellé sur agent de la force publique. Chacun est condamné à des travaux d’intérêts généraux, le jeune récalcitrant en état de récidive pour acte de violence sur autrui, qui va être père, bénéficiant de la même clémence. Ce quarteron de chômeurs improbable s’essaie alors au bricolage, ici repeindre un foyer, là, nettoyer de ses tags un cimetière sous la houlette de Henri, un éducateur bienveillant, amoureux du bon whisky et qui offre à sa petite colonie pénitentiaire la visite récréative d’une distillerie avec séance de dégustation.

    A Glasgow, dans les quartiers déshérités, on se bat à coups de poings de père en fils sans possibilité de rompre la chaîne de l’enfermement, à moins d’un portier, éducateur.

    Henri introduit ses protégés dans l’univers particulier des caves où s’apprend l’art de la dégustation et le respect des millésimes, où le quidam côtoie le riche collectionneur et où un amateur peut se révéler capable de définir, au goût, les justes sensations. Robbie, le délinquant du groupe manifeste une véritable aptitude sensorielle, s’attirant l’attention d’un professionnel averti. Des lectures vont lui permettre d’améliorer ses bases.

    Au nord du pays, un fût de Malt Mill, un produit rare et mythique va être mis aux enchères dans un antique château où nos compères ont l’idée de se rendre, revêtus du kilt ancestral, symbole de traditionalisme, pour donner le change et voler quelques bouteilles de cet inestimable crû.

    La part des anges, cet alcool qui se volatilise des chais, sans enrichir les plus démunis qui le produisent, s’inscrit dans le sillon narratif des films de Ken Loach, peintre fidèle et minutieux de la classe ouvrière victime de l’hérédité des situations. Mais un ton nouveau, une allégresse apparaît avec la mise en scène des thèses résurgentes du saxon voisin, Robin des bois, presque une apologie. La redistribution d’ une part du butin est une absolue nécessité. Cette utopie est-elle accessible par d’autres voies que la fantaisie?


  7. Mains armées

    juillet 19, 2012 by Jacques

    Réalisé par Pierre Jolivet
    Avec Roschdy Zem, Leïla Bekhti, Adrien Jolivet, Nicolas Bridet, Marc Lavoine…

    Jeune policière à la brigade parisienne des stupéfiants, Maya se débat dans ses contradictions. Elle a embrassé une profession de l’ordre tout en prélevant sa dime sur le butin des dealers, sous la coupe d’un chef de service véreux et prévaricateur. Elle s’est identifiée au parcours de commissaire de police d’un père pourtant honni qui l’a renié à sa naissance. Elle porte en elle une sourde violence qui éclate à l’entrainement de tir sur cibles. Flanquée d’une mère évanescente, privée de repères masculin et féminin, sans véritables liens affectifs, elle se cuirasse toute seule dans le déni de sa fragilité. Un rail de coke et elle se fond dans la cohorte nocturne des patineurs de rue, dans l’oubli de soi.

    A Marseille, entre planques et filatures, le commissaire Lucas suit la trace d’un stock d’armes volé à l’OTAN par la mafia Serbe. C’est un spécialiste reconnu, intransigeant, secret et sans attaches familiales. La piste criminelle conduit vers la capitale.

    Trafiquants d’armes et de stupéfiants étant de mèche, le père et la fille vont se croiser. Maya retrouve la piste des yougoslaves, seule, par défi, pour supplanter le père dans un combat enfin digne et qui la libère de l’emprise perverse et sans issue de son commandant de brigade, sorte de père de substitution. La chasse obstinée de Lucas changera de nature quand sa propre fille apparaitra en grand danger, une fois assumée une difficile conversion, le passage du déni à la reconnaissance de paternité.

    Sur fond de traque très réaliste de grands trafiquants internationaux dans le dédale des entrepôts de la métropole, Mains armées dénoue aux forceps une dramaturgie identitaire et construit dans l’urgence un lien de filiation salvateur entre père et fille aux existences jusque là séparées et lacunaires.


  8. Margin Call

    juillet 7, 2012 by Jacques

    Réalisé par J.C Chandor
    Avec: Kevin Spacey, Paul Bettany, Jeremy Irons, Zachary Quinto, Demi Moore

    Un quarteron de consultants en licenciements déboule à l’étage d’une grande banque d’affaires américaine pour désigner ses victimes, radiant à la hussarde 80% des effectifs de la branche trading. Une purge colossale destinée à choquer les esprits des 33 rescapés et stimuler toujours d’avantage le culte de la performance.

    Avant de quitter la place, son carton sous le bras et la promesse reçue de 6 mois de salaires pour tout pécule, un conseiller financier âgé transmet à son jeune collègue une clé USB contenant son analyse des risques financiers encourus par la firme, aux conclusions inquiétantes! Le jeune prodige affine le modèle mathématique agglomérant l’ activité spéculative de la banque. Son portefeuille de titres spéculatifs -les MBS, ou fameux emprunts hypothécaires- s’est développé de façon exponentielle au mépris d’un plafond, le taux de risque d’impayés couvert par les actifs de la banque. Virtuellement déjà en faillite, la firme s’effondrera si l’information fuite.

    Margin call, c’est l’appel de la marge, celle qui compense la perte d’une mise de fond sur un titre qui s’est déprécié et que doit verser son propriétaire au courtier. C’est cette opération qui, appliquée à la firme, signerait sa perte.

    Évoquant dans la forme le chef d’œuvre de Sidney Lumet, douze hommes en colère, ou le délibéré d’un jury d’assises statuant sur un cas de parricide, le film de JC Chandor s’attache au huis clos nocturne des cadres réunis par le PDG pour tirer la banque de ce mauvais pas et se convaincre de la bonne solution, se débarrasser massivement des titres nocifs dans un temps record – 90 minutes chrono- un délai propre à abuser les marchés financiers. Appâtés par la récompense d’un confortable bonus, les traders encore en poste opèrent, le matin venu, tous scrupules remisés. Au réveil des marchés, les acheteurs de ces titres pourris seront eux, ruinés.

    Hier encore, les meilleurs ingénieurs ou mathématiciens construisaient des ponts ou des avions. Aujourd’hui, ils officient à Wall Street pour gagner des millions de dollars en manipulant des chiffres sur un clavier d’ordinateur, comme nos énarques dont l’honneur était de servir l’État et qui trouvent désormais plus juteux de pantoufler au sein des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Le mot valeur est assez polysémique pour expliquer ce changement de pied.

    A l’image de la femme de ménage coincée dans l’ ascenseur entre deux agents de change, l’homme de la rue ne se doute pas que la faillite d’une économie peut se jouer à l’étage d’un building à l’ambiance feutrée, lieu permanent d’une gigantesque partie de poker menteur.


  9. De rouille et d’os

    mai 23, 2012 by Jacques

    Réalisé par
    Jacques Audiard
    Avec
    Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand Verdure, Corinne Masiero, Céline Sallette.

    Stéphanie ( Marion Cotillard) est dresseuse d’orques au Marineland d’Antibes et si fière de sa puissance qu’elle tapisse les murs de son appartement de posters de son imposant spectacle.

    Une hautaine beauté:

    En boite de nuit, elle promène son auréole narcissique et entretient avec une morgue souveraine l’adrénaline du dompteur, ne récoltant, dans ce milieu alcoolisé qu’un horion d’ un dragueur éconduit, neutralisé par Ali (Matthias Schoenaerts), un videur placide qui s’est interposé en professionnel dépourvu d’états d’âme.

    Ali est venu refaire sa vie dans le sud avec Sam un fils de 5 ans, un bagage négligé, nourri pendant le voyage des reliques des poubelles du TGV et tellement privé de liens affectifs que la niche du chien peut devenir un refuge de substitution.

    Ali ne connait qu’un seul langage, celui du physique, celui des poings et sa frappe se déchaine dans des combats clandestins à main nue, la violence de ses coups triomphe d’adversaires souvent plus musclés que lui pour le gain des paris et pour l’adrénaline.

    Entre le videur frustre, à la virilité sèche et la charmeuse reine du ballet savant des monstres marins il y a l’ océan qui sépare les rencontres sans lendemain, à moins que les fils du destin ne s’emmêlent. Victime d’ un tragique accident, l’ Amphitrite du parc nautique se réveille à l’hôpital amputée des jambes. Ali qui ne connait pas l’inhibition physique, possède l’instinct animal capable de surmonter une mutilation en montrant à la jeune femme la voie à suivre, se baigner -le bain de la nymphe mutilée est un retour à la vie- se dorer au soleil, sortir en boite, refaire l’ apprentissage de la geste sexuelle, enfiler des prothèses et remarcher.

    Mais le compagnonnage purement physique de deux êtres aussi dissemblables, que de communes secousses de la vie ont accidentellement rapproché, ne peut s’éterniser sans que naissent des sentiments.

    L’épreuve aquatique:

    Les poings d’ Ali extirperont d’une matrice de glace une vie mise en péril par sa désinvolture. Ali, mutilé de la pensée et du verbe et Stéphanie amputée des deux jambes forment un attelage aussi improbable que soudé par une étrange beauté, une apaisante volupté, une élégance qui s’ignore.

    Jacques Audiard, s’affirme comme le cinéaste des êtres jetés au fond du trou, qui se brisent les os sans jamais succomber à la fracture et qui se sauvent après avoir frôlé le pire. La fêlure majeure, la blessure profonde révèlent le surmoi, cet instinct de vie qui peut renverser un destin jamais écrit à l’avance et qui ouvre aux esprits les plus cabossés, la possibilité toujours ouverte de la rédemption.

    En toile de fonds, le cinéaste laisse poindre la question sociale, la soeur d’Ali (Corinne Masiero) illustrant en quelques phrases limpides et désabusées, une thèse emblématique de Pierre Bourdieu: le salarié qui encadre ses semblables selon le dépistage patronal croit travailler à sa promotion, mais précipite sa propre perte et déconstruit la solidarité ancestrale des exploités en excerçant la violence patronale par délégation. En regardant la chair de si près et ses drames, Audiard réveille les esprits magnifiquement.


  10. Portrait au crépuscule

    avril 29, 2012 by Jacques

     

    Réalisé par

    Angelina Nikonova

    Avec

    Olga Dihovichnaya, Sergueï Borissov, Roman Merinov

     

    Dans la banlieue de Moscou, trois policiers en maraude, pourchassent dans un sous-bois, une prostituée en mini-jupe, pour lui voler la recette de ses passes et la violer. Dans une datcha proche et sous l’atmosphère glabre du petit matin, ses cris ont réveillé une jeune femme, Marina, dont  le mari homme d’affaires et son associé imbibés et comateux achèvent sous la véranda un «business plan» sur une table encombrée de bouteilles d’alcools. Marina la trentaine, psychologue pour enfants est une femme sublime sinon idéale, désignée pour le sacrifice dans un tailleur blanc virginal, rentrant à pied d’un rendez vous avec son amant dont la médiocrité égale la veulerie maritale, casse le talon de sa chaussure et cherche de l’aide en boitillant. Au crépuscule, Moscou est une ville déshumanisée. Nul compatriote pour lui prêter un portable, ou la raccompagner, Marina échoue dans un snack bar qui ne sert aux clients que vodka, bière et saucisse et renonce au verre d’eau, au thé, archétype de beauté incongrue qu’il faut souiller à la graisse et à l’alcool. Marina reprend son chemin de croix sur la route, se fait voler son sac à main puis interpeller à la nuit tombée par ces même policiers prédateurs, qui l’emmènent en voiture pour la violer et l’abandonner à demi nue dans un terrain vague…

    Mais la violence de rue qui atteint Marina de plein fouet cette nuit là n’est au fond que le prolongement de son expérience professionnelle de la gangrène sociale. Dans son bureau défilent quotidiennement des parents abrutis, dégénérés par l’alcool, des enfants victimes d’inceste ou au contraire, déjà manipulateurs. «Les monstres n’engendrent que des monstres», Marina épuise son capital de sympathie dans une tâche digne de Sisyphe. Son dépôt de plainte pour vol du sac à main dans un commissariat dont la préposée menaçante, dicte un scénario imaginaire érigeant la victime en coupable, parachève la description d’une société minée, dans ses fondements même, justice, police et éducation par la corruption ou la lâcheté. Aussi, quand Marina retrouve son tortionnaire, la loi de la jungle commande de l’émasculer à l’aide d’un tesson de bouteille mais Marina au contraire, tente un pari fou, inédit au prix du sacrifice de soi.

    Dans cet univers dépravé où les rapports humains ne sont plus gouvernés que par la brutalité et la peur, à l’image des policiers et militaires Russes qui n’inspirent que l’aversion, robots sans scrupules abrutis par la vodka et la cocaîne, il faut une conflagration d’une intensité particulière. La puissance du verbe peut-elle sauver le monde comme l’a prêché en d’autres temps, Jésus le crucifié? Marina a la sensibilité altruiste de Marie et la beauté singulière qui éclaire les ténèbres.